Extraits d'un article de Myriam LEON paru dans Le Généraliste n°1807 du 21 Octobre 1997. Photos Laurence KETTERER.
Il règne à la Ferme de Keres, entre rivière et horizon, une ambiance de bout du monde ponctuée de caquetages, de cocoricos et de "léon" de paon en rut. Ni vache, ni cochon sur ce coteau breton, mais de la Bankiva de Java, de la nègre-soie, de la nagasaki blanche...
Ces noms exotiques désignent des cocottes étonnantes et glousseuses destinées à orner les jardins et non à mijoter dans le vin.
Fermiers atypiques, les Nuttall donnent dans l'aviculture sportive, en termes plus profanes, l'élevage de poules de luxe. Leur but : donner au gallinacé un rang de chat. A voir Pascale leur parler, les caresser, les embrasser, les écouter, on pourrait y croire. Son argumentation ne laisse pas l'ombre d'un doute : "C'est pas bête une poule, c'est chouette".
Jacques, son époux, ne peut que renchérir :"C'est quand même mieux qu'un nain de jardin". (...)
Les passionnés de poules d'ornement ont leur réseau, leur fanzine et leur association. Mais les élevages professionnels restent rares. Rien ne destinait Jacques (60 ans) et Pascale (30 ans) au métier de la ferme. Lui, ingénieur, était directeur de communication à la CIT Alcatel. Elle était sociologue à Lyon. Après leur mariage, ils vivaient dans une maison confortable en bord de mer sur la Côte de Granit Rose (Côtes d'Armor). Quand ils se sont rencontrés, Jacques se voulait intraitable :"Pas d'animaux chez moi !". Pascale, une fana des bestioles frustrée par sa vie citadine, commence par négocier deux poules dans le jardin. Jacques accepte pour les oeufs. Il n'imaginait pas sa femme se prendre d'amour pour des volailles. "Il y a quelques années , on m'aurait dit que j'aimais les poules, j'aurais dit : "eh fada!" mais quand j'ai eu ma première poule dans les bras, elle avait peur, j'ai senti son coeur battre, sa chaleur et j'ai eu le coup de foudre".
Le destin met un soir de Noël un coq gaulois sur leur route. Logiquement les poussins n'ont pas tardé. En 1994, Jacques est licencié. "Avec ma prime, au lieu d'acheter des sicav, j'ai repris cette ferme de 20 hectares." Le couple s'installe au lieu-dit Bonne Nouvelle, isolé de tout, pour entamer une vie nouvelle et faire d'une passion un métier. Reste à apprendre le boulot. Pascale se retrouve catapultée chef d'exploitation agricole et son doctorat de sociologie ne lui confère pas une grande connaissance dans le domaine."Je suis née à la ville, dans la région de Lyon, de parents enseignants en biologie. Tous deux avaient une passion pour la nature et respectaient profondément les bêtes et les plantes. Mes grands-parents étaient vignerons dans le Beaujolais. Ils m'ont appris à respecter et à observer les choses."
Toutes les races du monde ...
De fait, Pascale qui s'occupe des bêtes, s'est si bien adaptée qu'elle a pris l'accent breton. Si ses voisins agriculteurs, pas avares d'un coup de main et d'un conseil, ont parfois bien ri de ses bourdes de débutante, ils sont surtout admiratifs devant le chemin parcouru en si peu de temps. Jacques assure la promotion de leur élevage ouvert au public, mais se lance également dans le travail manuel pour construire des volières et tout ce qui peut agrémenter la visite de la ferme.(...)
La visite de l'élevage est ainsi faite de manière à remplir les yeux, les oreilles et la tête. Incarnation du Bonheur est dans le Pré les Nuttall ne chôment pas. Il faut gérer cette ménagerie inflationniste et les visiteurs de plus en plus nombreux. De surcroît, Pascale, toujours chercheuse dans l'âme, tente de créer de nouvelles races. (...)
Le couple semble vivre sur un nuages de plumes bigarrées. Sauf, évidemment, dans les périodes "d'emmerdement maximum", quand "on a à la fois des visiteurs, les moutons qui cassent leur clôture, partent dans les cultures, les oies qui mangent les fleurs... il ne manque plus alors qu'un renard...".
Aujourd'hui Jacques s'amuse en se souvenant de ses réticences premières et se plaît à regarder ce monde où les animaux tolèrent les humains. Tous les jours, entourés de plus de 500 poules, d'un troupeau de moutons, d'une bande de canards, de quelques chats, d'un chien... débonnaire, il se réjouit de ne plus avoir de patron, de bureau, de comptes à rendre. Contemplatif, il découvre les joies de la campagne et des saisons."On dit que la mer change tout le temps, je trouve que la terre bouge encore plus, je ne m'en lasse pas.(...) Si j'avais su qu'une vie pareille existait, j'aurais tout lâché plus tôt."."